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Reportage
Au Moyen-Âge, le visage du Fou du roi est celle d’un amuseur, qui adopte un
caractère excessif, fait de drôles de mouvement, pour faire rire la cour. Le fou du Roi
aussi, sous couvert du spectacle accuse. On le dit révélateur de vérité. Marginal, il porte
un masque. Il est anonyme et peut se permettre une expression libre. Le fou dans la
littérature a cette fi gure ambivalente qui penche entre bénédiction et malédiction.
Les trois visages sous la broche mettent en valeur cette représentation du monde
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comme pièce de théâtre à ciel ouvert
Sur ces différents bijoux, René Lalique rend hommage aux techniques de l’orfèvrerie, au
Moyen-Âge. A la manière de ses prédécesseurs, il utilise la méthode de damasquinure qui
consiste au mélange d’un métal précieux avec d’autres qui le sont moins. Il fallait graver
une forme dans l’objet et ainsi on insérait le métal plus précieux. Cette technique était
utilisée notamment sur les armes d’apparat.
Plus fréquemment, René Lalique utilise la méthode de décor rapporté. C’est la soudure de
plusieurs matières différentes. Lalique réalise des pièces en fi ligranes, c’est-à-dire en léger
fi ls de matière, qu’il accompagne de verre, porcelaine ou tout autre élément.
Broche Fou du Roi, René Lalique, 1893-1896
Pendentif Personnage médiéval v. 1900-1902
Or, ivoire, émail, verre
H : 6,5 cm, l : 5,2 cm
Dépôt Shai Bandmann et Ronald Ooi
Rosaces et autres constructions gothiques, chevaliers et moines sont autant d’élé-
ments moyenâgeux qui inspirent Lalique. Il crée également plusieurs bijoux, penden-
tifs et peignes en particulier, ornés de personnages en haut-relief portant chapeaux
ou coiffes.
Le choix de l’ivoire pour sculpter le personnage de ce pendentif est certainement lié
aux qualités de ce matériau qui se travaille facilement mais peut aussi être associé à
l’histoire de l’art médiéval, période à laquelle il est fréquemment utilisé pour créer
diptyques, boîtes à reliques et autres plats de livres.
Un émail sur or rehausse les feuilles de vigne d’une nuance cuivrée tandis que les
grappes de raisin sont réalisées en verre. La diversité des matériaux employés rap-
pelle que si Emile Gallé considérait Lalique comme l’inventeur du bijou moderne,
c’était non seulement en raison du renouveau des sources d’inspiration, mais égale-
ment parce qu’il a eu l’audace, en cette fi n du XIX ème siècle où la joaillerie était reine,
d’utiliser des matières jugées moins nobles et moins précieuses, mais s’accordant au
mieux à son projet artistique.
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